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La Via Egnatia act 1 Séparations

On vous a menti. Oubliez tout. Nos propos sur la gentillesse et la chaleur humaine étaient surfaits. Les Albanais viennent de nous donner une leçon. Pour la première fois, l'idée de passer la frontière ne nous enchantait pas. Pour une fois l'excitation de la découverte n'a pas pris le dessus sur l'enchantement des jours précédents. 

Comment expliquer cela ? 

Il faut revenir en arrière, un peu avant le départ de l'auberge...


Scène 1

Nous étions impatientes de repartir marcher, c'est vrai. Mais non sans doute. Le spectre du poids du sac rodait. Nos capacités allaient elles entachées notre enthousiasme ? Mauvais esprits fugaces. Il fallait bien faire les choses avant de quitter Durrës. Une ultime soirée où la beauté de la simplicité se distille dans chacune de nos intentions. Et ce soir, les chemins d'errance ont aboutis au seuil de l'auberge. Emportant avec eux une farandole de personnage. Je pense à Abdul, un guatemalais au physique de pirate qui nous a joué du violon. Sa compagne ukrainienne à la voix superbe. Gorgia qui ajoutait sa dolce vita à la guitare. Et puis Kye et Boyan son chien, un duo germano-hongrois inspirant.  L’osmose. Ce phénomène qui concerne  les échanges entre des entités différentes. Une  diffusion de la matière, caractérisée par le passage jusqu'à l'équilibre. Chacun emporte avec soi une part de l'autre désormais. Ce soir là, il y avait de la magie dans nos yeux. 

Alors quand nous nous sommes retrouvées sur le chemin pour faire ce premier pas, le poids du sac n'a plus jamais existé. Il n'était pas question de partir comme des fusées. De nouveau, la lenteur. Paysages magnifiques et verdoyants. Nous avons marché avec des nuages à la place des pieds. Chaque jour tient cette promesse que nous nous faisons l'une à l'autre. Celle de vivre une belle journée. Et quand nos intentions ne  suffisent pas alors la fortune s'en mêle en mettant sur notre chemin, un Albanais.

 

Scène 2

Comme nous avons fait beaucoup de progrès en albanais (c'est facile de dire ça quand on part de zéro), nous déverouillons tous les visages. Juste quelques mots. Khali est aussi un bon éclaireur d'âmes bienveillantes. Nous avons grâce à lui beaucoup de contact avec les enfants. Aussi effrayés que curieux, c'est toujours un préliminaire aux belles rencontres. Et nous encourageons leur démarche avec l'espoir que leur rapport à l'animal change pour les futures générations. 

Il y a un fossé culturel énorme. Le pays est resté longtemps replié sur lui même. Ceux qui rêvaient de partir. Ceux qui ne pouvaient pas rester. Éliminés. La menace n'était pas dissuasive, elle était une sommation. Aujourd'hui le traumatisme bride encore les esprits. Pas d'idée de voyage. Pas les moyens non plus. Sachant cela, malgré nos nombreuses explications, je pense qu'aucun n'a compris pourquoi nous voyageons. Les anciens sont comme cet éléphant que l'on attache avec une chaîne quand il est jeune. Une fois adulte, il est retenu par un bout de ficelle à son arbre, mais pour son cerveau c'est impossible de s'en libérer. Pour les plus jeunes la seule issue est de travailler à l'étranger. Je ne dis pas qu'ils en rêvent. L'Albanie n'arrivera jamais à réconcilier ces deux générations. Pourtant la cellule familiale est l'unique prisme sur l'avenir. Et le plus important est d'accueillir l'étranger comme un membre de la famille. Alors, si certains pensent encore ne pas pouvoir s'éloigner du pays, ils font en sorte qu'une part d'eux repartent avec nous. 

En échange de bons procédés il a fallu laisser quelque chose avant de quitter le pays. Les derniers jours nous ont bien secoué et nous aurions pu y laisser quelques plumes. Mais nous avons préféré y laisser notre envol. 


Scène 3

Tout commence par un rendez vous. Nous devions retrouver Kye et Boyan dans les montagnes. Ils voyagent dans une voiture tout terrain aménagée. Tout était parfaitement calé. Nous avançions sereines, accumulant les dénivelés positifs sans rechigner. Sur ma carte j'avais relevé un passage “gazeux”. Dans le ciel, stratus et cumulonimbus s'accumulent. Nous savions que la pluie arrivait. En quinze minutes tout s'est dégradé. La pluie, mêlée à la grêle et au vent, nous maltraite. Et le chemin n'est plus qu'un passage résiduel au travers d'un cirque, perpendiculaire à la pente. Le vide abyssal à gauche, les pierriers à droite, nos pieds suivent une ligne à peine perceptible. Nous étions des funambules. Si le pied tremble, c'est la chute. Si l’esprit tremble, c'est la crise. Notre chariot ne passant pas, il a fallu faire un premier passage avec nos sacs et le chien. Puis faire demi tour pour aller le chercher. L'adrénaline s'accumule dans nos veines, oubliant le froid et l'option de renoncer. Dans ces moments difficiles il s'agit uniquement de poser un pied devant l'autre. Les cinq cents mètres les plus long de notre périple. Nous arrivons finalement au village détrempées, affamées, vidées. Seule l'idée d'y retrouver nos amis le lendemain était réconfortante. Mais, fortune, les albanais étaient là. Durant 24h, le village a pris soin de nous et lorsque nous retrouvions Kye, les péripéties de la veille étaient déjà anecdotiques. Pour passer plus de temps ensemble nous embarquons dans son vaisseau pour atteindre le lac Ohrid et y passer la soirée. C'étaient les derniers moments en Albanie. Le lendemain matin les sacs étaient appareillées, prêtes à quitter le pays, nous laissions la tente sécher tranquillement le temps d'aller prendre un café non loin de là. Mais le vent a tourné et s'est renforcé. Quelques gouttes de pluie et une mauvaise intuition, je retourne au campement. Trop tard. La tente virevoltait. Résistante à la tentation de s'envoler. Le mal était fait. Deux pieds arrachés et la toile fendue. Sidération. Mais il ne faut jamais penser que nous sommes au plus mal, car il y a toujours un Albanais. Nous campions sur la plage d'un hôtel fermé. Kye et Boyan doivent repartir et ils ne peuvent pas passer en Macédoine. Nous devions rester sur place sans un Leck en poche ou continuer malgré le vent et sans tente. Après quelques explications avec Laura, le gardien de l'hôtel nous propose de dormir dans la salle de conférence. Le temps que la tempête passe, nous avons pu réparer la tente et fraterniser avec Luani. Et comme pour nous rappeler que certaines péripéties n'apportent pas que des désolations, nous avons rencontré Bastian. Il passait par là, cherchant un endroit où dormir avant de rejoindre Ohrid en Macédoine. Luani, en grand frère prévenant a joué les intermèdes afin que Bastian nous embarque dans son combi WW. La classe. Après tout, le mauvais temps persiste et le froid s'installe. Nous allons nous mettre à l'abri. 


Et voilà notre histoire d'amour avec l'Albanie. Quand il a fallu se quitter,  malgré la tristesse, elle a su rester sage et bienveillante. Comme se termine une belle histoire. J’ai trop peu parlé de sa beauté  physique et elle n'est pas négligeable. Pour une fois je me permet de faire conseillère touristique. Je suis persuadée que chacun aura droit à son idylle illyriane. 


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Commentaires: 9
  • #1

    Cathy Rey (mardi, 14 mai 2019 20:46)

    Magnifique ces récits, merci les filles et vraiment BRAVO
    Bisous
    Cathy et Jean-Marc

  • #2

    loïc (mardi, 14 mai 2019 21:18)

    Toujours un plaisir de vous lire et d'avoir de vos nouvelles les filles
    Bisous bisous
    Faites attention à vous.

  • #3

    Sara (mercredi, 15 mai 2019 07:20)

    Merci les filles de me faire voyager a chaque fois

  • #4

    Eric HAudiquet (lundi, 20 mai 2019 09:42)

    Bonjour, les filles!
    Plus je lis votre odyssée, l'amour que vous avez pour le monde et la découverte des gens, je vous admire.
    Merci pour vos histoires!
    Je vous embrasse!

  • #5

    Sylvaine (mercredi, 22 mai 2019 15:15)

    Et bien mes amies...ce n'est pas de tout repos tout ça !!! On vous lit tenus en haleine...le curseur défile vite pour connaître la chute (clin d'œil).
    Des bises

  • #6

    papa bibi,mama coco (mercredi, 22 mai 2019 22:14)

    ON VOUS AIME !!!!Gros bisous à vous trois.

  • #7

    Vero (jeudi, 23 mai 2019 13:07)

    Quel beau récit
    J’es Que tu écriras un livre quand tu rentreras
    Gros bisous et fais nous encore rêver ��

  • #8

    Arlette (mardi, 04 juin 2019 08:55)

    Un petit coucou de Samoens ! Gros bisous �

  • #9

    Hoareau (jeudi, 06 juin 2019 16:54)

    Des bisous les filles bon courage pour la suite